dimanche 1 janvier 2012

Les chroniques de l'ami québécois : "Le poids des ans"

J'ai repris contact récemment avec mon ami d'outre-Atlantique, Jean-Pierre Banville. Toujours doté d'une plume à la verve vivifiante, il écrit de bonnes chroniques que je vous propose de retrouver périodiquement ici...

Vous savez que ma mère a conservé mon gâteau de baptême durant 34 ans ? Oui, 34 ans passés au congélateur, le gâteau de baptême! On ne l’a sorti que suite à une panne d’électricité majeure qui a compromis sa vie éternelle : cette œuvre d’art n’était pas du même acabit que les produits d’une chaine américaine bien connue qui peuvent demeurer sur le comptoir de la cuisine durant un an sans changer d’aspect extérieur. Quelques heures ont suffi à le rendre innommable !

Ce qui explique sans doute ma propension à tout conserver dans des bacs de plastique rangés dans le sous-sol. Bon sang ne saurait mentir : je garde des souvenirs de chaque période de ma vie, de chaque occasion majeure, de chaque rencontre. Et comme je suis le seul à savoir de quoi il en retourne, il y a de forts risques que le tout se retrouve dans le bac à déchets au moment où je déciderai qu’il est temps de m’auto-recycler. Mes souvenirs ne regardent que moi et leur importance est toute personnelle. Qu’importe le billet d’avion de mon premier voyage de ski dans les Rocheuses ou le t-shirt que je portais lors de ma première visite nocturne à ma flamme de Los Angeles! Il est déchiré d’ailleurs, ce t-shirt : elle me l’avait arraché de sur le dos! Mais je ne suis que la lie de la terre, un inconnu qui ne laissera aucune marque de son passage. Ce n’est pas le cas pour tout le monde. Une visite à votre musée local pourra vous en convaincre si vous avez encore des doutes à votre âge.

Il existe un Musée des Préservatifs à Condom. Un Musée du Slip à Bruxelles. Un Musée des Parasites à Tokyo. Un Musée du Coinceur à Ajaccio. Un Musée de la Tondeuse à Gazon à Southport. Et j’ai visité un Musée du Tire-Bouchon à Ménerbes ! On trouve de tout pour tous. Sauf un Musée de l’Escalade… Je vais sans doute crier dans le désert. Ce ne sera pas la première fois et loin d’être la dernière.  Mais imaginez : nous pratiquons un sport qui existe, en France, dans sa forme ‘’libre’’, depuis les années 1970. Et je suis conservateur : je pourrais étendre le libre aux blocs de Bleau des années 1930… Or vous chercheriez en vain une seule trace physique de cette aventure humaine. Il n’existe aucun endroit qui veille à la préservation de cet héritage. Il n’existe aucune collection. Aucun répertoire. Aucun dépôt de documents. Aucune base de données pour les entrevues audio et vidéo. Il n’existe rien de rien ! Je ne blâme pas les fédérations et les clubs : ce n’est pas leur mandat que de veiller à préserver le passé surtout qu’ils peinent déjà à organiser le présent et à visualiser le futur. Et de toute façon, ils le feraient mal : la mémoire collective n’est bien servie que par des passionnés qui vivent pour le passé, libres de toutes ingérences partisanes. Il est urgent - urgent, je le répète – de lancer le mouvement et de mettre sur pied une structure qui permettra la récupération de notre héritage communautaire. Nous sommes chanceux : la majorité des acteurs de cette aventure verticale sont encore de ce monde et le legs de ceux qui nous ont quittés peut facilement être rassemblé. Imaginez la mémoire photographique qui dort actuellement dans les tiroirs de nos prédécesseurs. Pensez aux documents d’époque, aux lettres et autres communications. Aux cartes. Aux topos dessinés dans de petits cahiers. Aux notes manuscrites. Au matériel spécifique ( on pourrait rêver à un Musée du Chausson mais je crains pour la qualité de l’air).

Ai-je besoin d’en dire plus? Et bien oui : ce même endroit pourrait et devrait servir de galerie pour des collections prêtées par des artistes qui sont aussi des grimpeurs. Des aquarelles des Calanques, des affiches provenant de compétitions, des dessins variés. De la littérature aussi. Nous sommes une pratique sans histoire et sans culture. Nous sommes à peine mieux que les Cro Magnon qui se racontaient leurs exploits au coin du feu. Hélas, nous n’avons même pas de grotte Chauvet pour illustrer notre passage sur Terre ! Nous pestons contre la perte des valeurs et des traditions qui font l’escalade mais jamais nous n’osons imaginer un endroit qui serait le dépôt de la mémoire collective et qui servirait à ancrer ces valeurs pour les générations futures. Vous me direz qu’il y a les livres d’histoire, les biographies. Je cherche en vain l’épopée du Tarn ou de l’Alsace, les précurseurs en Normandie et en Bretagne. Je donnerais gros pour savoir ce qui se cache dans certaines maisons de La Palud ou d’Aix… Que faut-il de plus pour vous convaincre d’agir ? Un plan ? De l’argent ? Tout se trouve : si Condom a son Musée et si les Tire-Bouchons trouvent des amateurs, se peut-il que des âmes bien nées puissent trouver une solution pour le Musée de la Falaise (ou du Libre ou de ce que vous voudrez…) ? S’il faut en être, j’en suis ! J’ai déjà pas mal d’expérience dans la conservation…
Je vous laisse donc réfléchir – en ce Jour de l’An – au passé et à son futur. Et je vous souhaite une excellente année 2012.

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