mercredi 26 novembre 2025

La dalle, c'est d'la balle !

 Rappelez-vous : avant que l'escalade devienne gymnique en s'aventurant dans les dévers, le summum de la difficulté était la dalle. Bon, il faut admettre qu'à force de réduire la taille des prises et de les espacer de plus en plus, la limite peut rapidement être atteinte avec... plus rien pour pouvoir grimper ! Il n'empêche, la dalle reste pour moi (et d'autres, je l'espère), un must de l'escalade. Parce que c'est esthétique, avec cet aspect monolithique du rocher. Parce que c'est exigeant, avec les prises les plus petites et/ou mauvaises. Parce que c'est démodé, avec la tranquillité que ça assure. Pour une fois, je vous propose de passer le regard au delà des rebords de la cuvette, parce qu'il y a un sacré lot de merveilles dont il faut qu'on parle... et rassurez vous, on ne va pas parler que de choses extrêmes, la dalle c'est pour tout le monde !

Omblèze : parmi les temples de la grimpe en dalle, Omblèze tient une place de choix. Essentiellement gris, le rocher est strié de multitudes de strates horizontales laissant plus ou moins la place pour les doigts et le bout des chaussons de rentrer. Cela crée une escalade hyper exigeante, imposant d'arquer fort et surtout de bien repérer ou mettre les pieds, parce qu'une fois au dessus, il est quasi impossible de voir les prises en creux. La falaise, immense, propose aussi quelques zones orangées où l'on trouve plus de crépi et de gouttes d'eau. Si la grande majorité des lignes est d'une longueur, on trouve aussi quelques grandes voies qui méritent largement d'être parcourues. Orientée au sud, la paroi est plutôt à fréquenter en hiver ou lors des journées pas trop chaudes, sous peine de ne pas tenir une prise et/ou se fumer les orteils en deux temps-trois mouvements. Petite donnée à prendre en compte, en plus d'offrir une escalade complexe, les cotations ne sont pas cadeau et l'équipement, très souvent dû à Philippe Saury, est parfois aéré, pour ne pas dire engagé ! Ne prenez jamais aucune voie à la légère, il pourrait vous en cuire...

Delphine à Omblèze © JMC

Mouriès : on ne ne peut raisonnablement pas aborder un article sur la dalle sans parler de Mouriès. Falaise iconique du développement du libre français, Mouriès se distingue sur plusieurs points. D'abord parce que la falaise présente l'originalité de proposer des voies en face nord et en face sud. Ensuite parce que la face nord du haut sort littéralement d'une pelouse digne d'un stade de foot ou d'un fairway de parcours de golf ! Ensuite parce que l'escalade y est complexe et exigeante, avec quasi uniquement des prises en creux qui imposent une lecture terrible et une pose de pieds infernale. Autant dire que faire des perfs à vue ici relève de l'exploit ! Un exemple de la difficulté à enchaîner des voies ici ? Prenez Magie blanche, le 8b+ référence du lieu : première ascension par Didier Raboutou en 1989 (suivi de Jibé Tribout quelques jours après), seconde répétition par Chris Sharma en... 2015 et moins de dix parcours en plus de 35 ans ! Le reste est à l'avenant. Si votre objectif est de soigner votre carnet de croix avec des lignes discount, passez votre chemin. Si vous souhaitez croquer un morceau d'histoire et parcourir des voies majeurs dans l'ambiance provençale unique des Alpilles, alors foncez !

Sainte Victoire : à la fin des années 70 et début des années 80, la Sainte Victoire a été le théâtre de quelques épisodes de la naissance de l'escalade libre à la française, en particulier sous l'impulsion du fameux Christian Guyomar. Ce dernier, en plus d'être un sacré bon grimpeur, avait un caractère trempé qu'il aimait transmettre aux voies qu'il ouvrait en espaçant les points d'assurage que certains pourraient qualifier d'exagérée... Cela a contribué à construire la réputation de la Sainte. Mais avant tout, ce qu'il faut retenir de la grimpe ici, c'est que ces dalles sont des monuments du style de grimpe technique. Des écailles de toutes tailles, des gouttes d'eau, des petites ciselures sculptées par les ruissellements, les pieds souvent à plat en adhérence précaire, voilà ce qui vous attend. Chaque voie se mérite, mais c'est pour cela qu'elle a de la valeur et qu'elle laissera des souvenirs impérissables. 

JMC dans Super Medius, 6c+ à la Sainte Victoire © Stef Candé

La Chambotte : attention, bijou ! Ne vous laissez pas influencer par la (relative) mauvaise réputation de La Chambotte. Oui, les cotations y sont souvent sévères. Oui l'équipement n'est vraiment pas complaisant et il faut souvent vraiment monter au dessus des points. Oui le bas de certaines voies n'est pas toujours fait d'un caillou très engageant. Mais si vous levez le nez, alors ce sont de somptueux murs gris plus ou moins sculptés qui vous tendent les bras, parfois même en plusieurs longueurs. Et si vous baissez le même nez, alors vous avez droit à un panorama exceptionnel sur le lac du Bourget et la Dent du Chat. Franchement, il n'y a pas beaucoup de falaises dans la région qui offrent un tel combo qualité de grimpe / nombre de voies / décor. Ca manquera quand même un peu de voies vraiment faciles, mais pour qui évolue déjà dans le 6, alors le choix est considérable. Un vrai must à (re)découvrir impérativement.

Delphine dans les beaux murs de la Chambotte © Christophe Bellin

Bavella : vous voulez de l'exotique sans avoir à partir à l'autre bout du monde ? Alors la Corse vous tend les bras. Et pour la grimpe insulaire, quand on pense dalle, on pense forcément Bavella ! Pour réellement profiter pleinement de la grimpe ici, il faudra partir en grande voie. Pour cela, il sera nécessaire de bien étudier les topos, accepter de se perdre dans les approches broussailleuses, souvent engager dans l'escalade et souffrir des orteils. Mais à ce prix, vous vivrez à coup sûr une expérience unique et vous vous forgerez des souvenirs inoubliables. Car oui, le granite de Bavella est totalement exceptionnel par sa compacité, son grain, ses couleurs. Vous y expérimenterez l'art subtil de la friction, de l'escalade sans aucune prise de main parfois, de la recherche d'itinéraire dictée par les (rares) prises de pied et de la difficulté dictée juste par l'inclinaison de la falaise. Songez donc qu'entre un 6a et un 8a, il n'y a guère de différences sur la tailles et le nombre de prises, seuls quelques degrés feront la différence ! Autre bonus de Bavella, si l'ambiance qu'on y trouve est résolument typée moyenne montagne, il suffit de quelques dizaines de minutes pour vous retrouver à faire trempette dans la Méditerranée, du côté de Solenzara ou de Porto Vecchio. La grimpe en Corse, en particulier à Bavella, c'est vraiment autre chose...

Dans le Dos de l'éléphant, Bavella © E. Le Folgoc

Céüse : si vous croyez que la renommée de Céüse n'est due qu'à son rocher exceptionnel de qualité et à ses voies de 9ème degré nichées dans des dévers interminables, vous n'aurez pas totalement tort. Mais n'allez surtout pas imaginer que Céüse se limite à cela. Car oui, il y a bien là-haut du caillou de toute beauté, mais il se décline aussi en version dalle pour le plus grand bonheur de tous les grimpeurs plus humains. Et mieux encore, dans ce type de profil, en plus des fameux trous typiques du spot, le lent travail de l'érosion par l'eau a permis de créer des cannelures et gouttes d'eau de toutes tailles. Ainsi, la variété de styles de dalle est complète et permet des voies (parfois même en plusieurs longueurs) du 5 au 7 vraiment exceptionnelles. À grimper dans ces voies, vous verrez probablement de multiples avantages : elles sont finalement plus nombreuses, elles sont réparties partout sur cette immense barrière rocheuse et surtout elles sont beaucoup moins fréquentées ! Je ne saurais malgré tout que vous conseiller d'éviter la période estivale pour aller à Céüse, afin de profiter pleinement du côté sauvage, isolé, presque "montagne" que peut offrir le spot. Le printemps (attention aux corniches de neige au sommet de la falaise qui peuvent subsister longtemps), mais surtout l'automne sont deux moments à privilégier.

Céüse, une ambiance unique © Arnaud Petit

Les Dentelles de Montmirail : voilà des falaises parfaites pour deux types de personnes : celles qui ont un excédent de corne au bout des doigts et celles qui ont un déficit de bons vins dans leur cave, sachant que l'une des situations n'exclut pas l'autre ! Pour le second point, étant nichées au coeur de Côtes du Rhône réputés comme Gigondas, Vacqueyras, Baumes de Venise, Cairanne, Sablet et autres, les Dentelles de Montmirail sont idéalement situées pour faire de bonnes dégustations après-grimpe, voire faire le plein de belles bouteilles à rapporter à la maison. Pour le premier point, n'espérez pas sortir de vos journées d'escalade ici avec les mains intactes. Le rocher y est truffé de petites gouttes d'eau plus ou moins tranchantes, d'écailles de tailles diverses mais bien agressives et de crépi qui broutent comme rarement ailleurs. Dans ces faces grises et ocres monolithiques, le serrage de doigts et la technique de pied seront la plupart du temps le seul salut pour avoir une chance de voir le relais des voies. Mieux encore, on pourra même apprécier l'effort dans quelques grandes voies souvent moins fréquentées que les couennes.

Les Dentelles de Montmirail © Fred Labreveux/Grimper

Ailefroide : si les Hautes Alpes sont devenues l'épicentre international de la grimpe estivale, ce n'est pas pour rien. On y trouve en effet une variété infinie de choses à grimper avec des conditions météo parfaites. Et Ailefroide est un résumé à elle seule de tout ce qu'on peut trouver de mieux à grimper : des voies du 3 au 9, de la couenne, du bloc, de la grande voie, de l'alpinisme, des voies équipées, d'autres moins... n'en jetez plus ! Mais pour ce qui nous intéresse, la dalle, Ailefroide est certainement un must. Parce qu'il suffit d'appliquer la liste de la phrase précédente aux possibilités de grimpe en dalle et vous voilà face au plus gros dilemme : choisir. Peu de chances de se tromper, il n'y a globalement rien à jeter dans tout ce qui est à portée de chaussons ici. Ici le granite est résolument différent de Bavella par exemple, avec plus de réglettes et de prises à travailler, c'est probablement moins déroutant pour le grimpeur uniquement habitué au calcaire, même si un petit temps d'adaptation sera nécessaire. Une seule ombre au tableau : ça se sait bien au-delà de nos frontières et il est possible de faire face à des épisodes de surpopulation dans certains secteurs en plein été.

La Cocarde, 6a à la Poire d'Ailefroide © Arthur Delicque

Vingrau : pour être tout à fait honnête, je n'ai grimpé qu'une fois, deux jours, à Vingrau, à la fin des années 90. C'était lors d'un reportage que nous faisions alors avec Olivier Moret pour Montagnes Magazine. Mais ces deux jours m'ont laissé un excellent souvenir, celui de très belles voies en dalle sur un caillou bien sculpté et adhérent, dans une ambiance apaisée au beau milieu de grands vignobles. Le site, semble-t-il est assez peu fréquenté, les grimpeurs lui préférant les parois voisines de Tautavel, plus variées. Mais ici à Vingrau, c'est surtout dans des voies de plusieurs longueurs, plutôt de difficulté modérée d'ailleurs, qu'on profitera le mieux de la falaise. Pour les plus énervés, on trouve malgré tout quelques bons challenges plus ardus jusqu'à 8a, évidemment dans des zones plus verticales. Ne vous fiez pas à l'absence relative de réputation du spot, n'hésitez pas à tester par vous-mêmes.

Une partie des falaises de Vingrau © Benoblog

Les Lames : on ne peut pas être Grenoblois et parler d'escalade en dalle sans mentionner Les Lames ! Car la réputation et la qualité des voies dalleuses du spot vont bien au delà des rebords de la cuvette. 9a va faire 40 ans que ça dure et ça ne semble pas prêt de s'arrêter. Après un quasi abandon pendant une bonne décennie, la fréquentation du lieu, en particulier des voies les plus dures, à repris de plus belle. En plus de la concentration de voies dures, ce qui caractérise la grimpe ici est la variété. Car oui, toutes ces lames/dalles présentent des rochers finalement très différents : océan de gouttes d'eau dans Amour toujours, petits trous dans Bienvenue à bord, mur de crépi dans L'écume des nuits, fentes et réglettes dans La poudre... chaque voie est une nouvelle surprise et un challenge inédit. Et pour tout cuvettard qui se respecte, c'est surtout un passage obligé !

Mathieu dans La mémoire des vaincus, 8b, Les Lames © Ze Gab


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