lundi 19 novembre 2012

Madagascar : bien plus qu’un simple voyage de grimpe

Fin juin 2005. Les derniers mois de labeur ayant entamé un peu le moral, se pose la question du choix de la destination pour les vacances estivales. Les falaises hispaniques mais ombragées de Rodellar étaient le premier choix, mais force est de constater que se retrouver avec la foule habituelle de grimpeurs sur ce genre de spot ne nous faisait pas vibrer outre mesure. Non, il nous fallait un vrai truc bien dépaysant. Un coup de folie et un cassage de tirelire plus tard (soit seulement quelques heures, en fait) nous voici munis de deux billets d’avion pour Diego Suarez via Tananarive. Madagascar, nous voilà !


Cela faisait déjà des années que Michel Piola, grand artisan du développement de la grimpe sur l’île, me tannait en me disant que c’était incontestablement l’une des meilleures destinations de grimpe qu’il ait connue. Ce dont je doutais d’ailleurs pas un instant, vu l’expérience de baroudeur du bonhomme... Un peu d’organisation depuis la France via Internet (comment faisait-on avant ?!) et nous voici début août avec armes et ba gages (enfin surtout bagages, parce qu’en avion de nos jours, les armes...) fin prêts à attaquer les rochers malgaches de nos doigts. Premier choc à l’arrivée de nuit à Tananarive : la vache, ça caille ! Merde, on est au mois d’août non ? Ah oui mon bon monsieur, mais ici c’est l’hiver ! Vous avez changé d’hémisphère et puis Tana, c’est sur les hauts plateaux, à plus de 1000 mètres d’altitude... Dans l’attente de notre vol pour Diego Suarez, vers le nord, nous passons quelques heures à nous balader dans la ville de Tananarive. La misère est omni-présente et certainement choquante pour des Occidentaux peu habituées au voyage dans ce type de pays (et dont je fais partie). Impossible de faire 50 mètres sans être sollicité pour acheter quelque chose : journaux, cigarettes, artisanat... Malgré tout, en pleine journée, on ne se sent pas en danger d’agression à condition de ne pas sortir son portefeuille plein de billets à la vue de tous. En revanche, mieux vaut éviter de traîner seul dehors la nuit, on ne sait jamais.
Sur la piste menant à la baie des Sakalavas
Une heure et demie d’avion nous mène à Diego Suarez (Antsiranana), l’extrême pointe nord de Madagascar, à proximité de laquelle se trouvent les sites de grimpe calcaire du pays. Ben oui, manque de temps oblige, nous avons dû nous limiter géographiquement au nord faute de temps, et délaisser les somptueux big walls du Tsaranoro, au sud. Tant pis, ou plutôt tant mieux, il faudra revenir ! À noter que pour les allergique à l’avion ou les économes, il est possible d’aller de Tana à Diego en automobiles (taxi, taxi-brousse...) Il faudra juste compter un peu plus large en délai de transport, le voyage passant d’un peu plus d’une heure à trois à cinq... jours ! Eh oui, les infrastructures routières ne sont pas non plus les mêmes que chez nous ! Si la route ramenant de l’aéroport à la ville ne vous le montrera pas tout de suite (elle est toute neuve et bien asphaltée suite à la visite des dirigeants du pays), celle menant de Diego vers la Montagne des Français vous le rappellera vite.
En montant à la montagne des Français...
La Montagne des Français ? Kezako ? C’est tout simplement le site de grimpe le plus proche de Diego et surtout le plus développé avec près de deux cents longueurs équipées. C’est ici que nous débuterons donc notre séjour. Pour se loger, le King Lodge situé au départ du sentier d’accès est pratique mais loin d’être “glamour” à nos yeux. Heureusement, à peine quelques kilomètres plus loin, se trouve la Baie des Sakalavas, un site magique pour se poser et être vraiment dans une ambiance vacances. Imaginez donc une baie et son lagon, la plage de sable fin, des petits bungalows paisibles (et en nombre limité), tout cela bien venté ce qui en fait un spot de premier ordre pour les adeptes de la planche à voile et du kite surf. Un coin de paradis, littéralement avec, sans supplément, les lémuriens qui viennent vous rendre visite au petit-déjeuner sur la grande terrasse face à la mer. Ambiance cool et détendue, cosmopolite avec une vue et un calme hallucinants. Pour les jours de repos, il y a même une sacrée belle balade à faire en longeant la plage jusqu’à la pointe nord et Ramena en passant par la Baie des Dunes, un site somptueux. Et puis la mer d’Emeraude à deux pas...
Camp de base aux Sakalavas, y'a pire endroit !
La Montagne des Français
Bon, c’est bien gentil tout ça, mais l’escalade ? Pas plus simple : demandez à Marcellin, il a son 404 pick-up et vous conduit (et vient vous chercher à l’heure voulue) pour quelques euros jusqu’au pied e la Montagne des Français. Après, il ne vous reste plus qu’à vous farcir la marche d’approche... Autant aller au pied de la falaise est simple, autant il faut vraiment avoir le topo pour circuler à son pied et passer d’un secteur à l’autre. Mais une fois sur le rocher, le délire peut commencer... Quel caillou, c’est incroyable ! Toutes les faces sont super raides voire déversantes, mais tellement sculptées de formes diverses et variées que la difficulté reste raisonnable, souvent dans le sixième degré. Impensable : jamais je n’ai vu des stalactites, des colonnes des tuyaux d’orgue pareils Et quelles couleurs : du bleu, du rouge, du jaune, du marron, un vrai festival. Tous les secteurs valent le coup, mais on peut indéniablement mettre en avant la grotte des Pintades, Profil de brigands, Libertalia, Jardin d’Eden et Ice flûte. Rien à jeter, que des voies top, de tous les niveaux sur un rocher complètement neuf et fabuleux. Et le must dans tout ça ? Vous êtes seuls, personne pour vous piquer la ligne choisie, pour brailler dans vos oreilles. Deux cents voies rien que pour vous. En quatre jours de grimpe ici, nous ne croisons qu’une seule autre cordée de Réunionnais ! Avec un peu de bol vous pourrez en revanche rencontrer des habitants venus ici pour ramasser des plantes ou encadrer leur bétail. Vous passerez alors pour une attraction amusante et interrogatrice ( à quoi ça peut bien servir de monter pour redescendre tout de suite sans rien ramener d’en haut ?) à leurs yeux. Le seul point noir de la Montagne, c’est la chaleur. S’il faisait frais à Tana, Diego est au niveau de la mer et la Montagne est orientée au soleil. Heureusement, on peut jouer avec le relief accidenté des falaises et trouver quelques coins à l’ombre. On peut même s’arrêter au secteur Baobab à l’ombre l’après-midi et à un quart d’heure de la route sur le chemin du retour.
La partie gauche de la Montagne des Français
La vallée des Perroquets
Mathieu, l’homme–orchestre de New Sea Roc (voir Pratique), vient nous chercher aux Sakalavas après cinq jours pour nous conduire en un lieu pour l’instant privilégié : la vallée des Perroquets. Nous sommes parmi les premiers à venir grimper ici, le sieur Pila n’ayant équipé les premières qu’il y a un mois à peine ! Nous retrouvons deux Polonais hallucinés par la qualité de la grimpe ici et qui ont décidé de rester là jusqu’à épuisement de leur stock de spits amenés pour équiper ailleurs à l’origine. Après une heure de piste bien défoncée en pleine brousse nous voilà donc au camp des Perroquets (qui tient son nom du village voisin, Andavaquer, littéralement “là où il y a des perroquets”). Là encore, c’est un choc le camp est niché au creux d’une mini-forêt de manguiers apportant ombre et tranquillité, une impression d’isolement absolu. Un lieu de privilégié, c’est sûr. Et pourtant, à quelques centaines de mètres à peine, le village que l’on vient de traverser fait peine tant la pauvreté extrême des gens est visible. Heureusement, Mathieu organise le développement de la grimpe en lien étroit avec le populations locales. Et ceci pas seulement à cause du respect obligatoire des traditions et des interdits et tabous locaux (les “fadys”), mais parce cela fait partie de ses objectifs de ne pas profiter seulement pour lui mais de faire profiter les Malgaches de la fréquentation de “touristes”. Chapeau à lui.
Entrée dans la Vallée des Perroquets : le choc !
À peine débarqués, nous partons en courant vers les falaises. Un quart d’heure de marche dans une jungle de baobabs, de manguiers, de bananiers, de papayers et consorts nous conduit à un vallon incroyable. Nous prenons là une sacrée baffe ! Deux kilomètres de long, des falaises des deux côtés, partout du caillou dément, de l’ombre, un petit vent frais. Un paradis pour le grimpeur et tout à y faire puisqu’il n’y a que quelques voies pour l’instant. Au pied du secteur principal, nous croyons délirer tellement le rocher est fantastique : un mélange de styles et de formes complètement fou. Imaginez 20 mètres d’orange et gris à alvéoles parsemées de colonnettes suivis de 10 mètres de stalactites énormes et une fin sur des gros pommeaux pointus ou des strates ombléziennes.
Mathieu Delacroix à l'oeuvre à la Vallée des Perroquets
Du jamais vu ! Il faut vraiment que nous nous fassions violence pour ne pas faire les douze longueurs du secteur dans la première journée. Douze voies du 5 au 7a+, avec une moyenne dans le 6b/c, toutes plus incroyables les unes que les autres... Nous torchons le reste dès le lendemain, en profitant pour refaire les autres tellement c’est bon de grimper ici. Pendant ce temps, les Polonais, guidés par Mathieu ont commencé l’équipement d’un autre secteur bien caché dans les replis de la jungle et des canyons creusés dans les falaises. Le troisième jour, après un petit échauffement dans le secteur principal (on ne s’en lasse pas !), c’est presque en déclippant la stat’ d’équipement que nous serons les premiers à goûter aux joies du à vue intégral sur rocher croustillant dans un 7a+ et un 7b+ longs et majeurissimes. Il est temps de plier bagages car demain nous partons pour les îles...
Depuis notre passage, la Vallée des Perroquets a connu un développement notable et de nombreuses voies supplémentaires ont vu le jour, toutes largement aussi belles que celles que nous avions eu la chance d'inaugurer (ou presque). Par ailleurs, le camp très sommaire que nous avions étrenné a lui aussi largement évolué pour un plus grand confort d'accueil, mais toujours dans un profond respect de l'environnement.

Les îles
Dans l’imaginaire collectif, se retrouver isolés sur une île déserte n’est pas le meilleur délire. Après un passage par Nosy Adantsara et Nosy Anjombavola, il y a matière à revoir sa position. Deux heures et demie de piste fracassée dans le camion Simca de 1956 de Mathieu qui vous secouent bien mènent à Ampasindava, un paisible village de pêcheurs d’où le bateau partira vers ces îles de rêve. Nous partons pour une semaine, seuls avec Mathieu. Enfin seuls, c’est vite dit car il y a aussi, le Capitaine (du bateau !), son adjoint, la cuisinière, la fille du Capitaine (si, si) qui lui donnera un coup de main et surtout Doud, le pêcheur sans qui on ne mangerait rien. Car sur ces îles désertes, c’est l’autonomie complète, il faut tout emmener : de l’eau, du pétrole pour les lampes, le riz, les légumes... Doud s’occupera de nous fournir tous les jours le reste du tout venant : langoustes à tous les repas, poissons divers et tous délicieux.

Notre arrivée sur Nosy Adantsara, où se trouve le camp aménagé par Mathieu et New Sea Roc se fera de nuit, horaire de marée oblige. Ce n’est donc que le lendemain matin au réveil que nous pourrons prendre la mesure du caractère somptueux et inimaginable du lieu. Le camp est aménagé en petites paillotes très discrètes et invisibles du large, les premières voies grimpables se trouvant à moins de vingt mètres de la cuisine ou de votre tente. Mathieu a même aménagé quelques petites chambres individuelles dans des petites grottes. De vrais palaces en cet endroit... Sur cet îlot minuscule, la marche d’approche pour les secteurs les plus reculés n’excède jamais cinq minutes (en allant doucement). Le caillou est une fois de plus incroyable de variété : de l’ocre, du gris, du noir, des trous, des écailles, mais surtout des formations uniques, les tsingys, sorte de lapiaz verticaux, parfois hyper tranchants, issus d’une dissolution progressive du caillou par les pluies acides. L’escalade sur ces formes, parfois inquiétante, demeure unique en son genre et vaut à elle seule le voyage. Ici encore, c’est le paradis du grimpeur de 6, à condition d’avoir un physique à la hauteur, les profils des voies demeurant systématiquement bien raides. Nous courons comme des dingues de voies en voies, de secteurs en secteurs, ne nous accordant que le bref répit obligatoire du somptueux repas de 13 heures concocté par notre cuisinière chérie.
Ambiance au camp le soir... Magique !

Le soir venu (la nuit tombe vite, à 18 heures), la tradition de l’apéro au “rhum arrangé” ne peut pas non plus être évitée, tant mieux. C’est un moment privilégié pour profiter encore plus pleinement de la quiétude et de la majesté des lieux. Il nous reste à aller grimper sur Nosy Ajombavola, l’île “d’en face”, une île, comme toute les autres, sacrée et tombeau royal des ancêtres. Là encore, c’est le choc ! Le rocher est toujours une merveille, les voies sont variées, magiques, avec plus d’ampleur encore que sur Nosy Adantsara. Pendant que l’on grimpe, on peut voir le Doud en train de pêcher les langoustes et poissons des repas à venir pendant que le Capitaine se paie une sieste sur la plage. Après la grimpe et les deux minutes de marche ramenant à la plage, on peut aisément se faire une belle plongée au milieu des bancs de corail situés à dix mètres du bord et regorgeant des poissons les plus incroyables qui soient. Le dernier jour, c’est sous le regard éberlués de la cuisinière et du Capitaine que nous continuons à tirer des longueurs à la nuit au secteur New Sea Rock de Nosy Adantsara, pour profiter au maximum de cet endroit fabuleux.
Delphine dans un joli 6a+

Une semaine ici vous requinque pour une année de labeur, mais qu’il est difficile de se lever le dernier matin pour monter dans le bateau qui vous ramène vers la civilisation. Épilogue Vous l’aurez compris, Madagascar est une véritable perle. La grimpe y est certes de toute première qualité, mais c’est surtout un dépaysement total apte à vous remettre du baume au cœur. N’aller là-bas que pour grimper serait une erreur. Il y a tant à voir, à découvrir. Les Malgaches, malgré l’extrême dénuement de leur vie quotidienne, nous ont accueilli, nous les “vazahas” (étrangers), toujours avec une sympathie désarmante. Aujourd’hui, quelques mois après ce voyage, nous sommes encore sous le charme de ce pays, de ses falaises et de ses habitants, avec une seule question en tête : quand est-ce qu’on y retourne ?
Que de beau caillou... Le rêve !
Delphine au bout du toit de "Tafo Masina", 8a




PRATIQUE

Y aller : c’est le plus gros “souci” : il y a peu de compagnies aériennes qui desservent Madagascar et les tarifs sont donc souvent très élevés. Toutefois, si l’on arrive à éviter les mois de juillet et août (les plus chers car c’est la meilleure saison en même temps que les vacances scolaires), il y moyen de mieux s’en sortir. Prévoir tout de même d’acheter ses billets bien à l’avance... Le plus simple pour aller au nord est l’avion pour Tananarive (11 heures de vol de Paris) puis un vol intérieur pour Diego Suarez (Antsiranana) (un peu plus d’une heure).
Pour la Montagne des Français, il est possible de se débrouiller seul pour se loger et se rendre sur le site de grimpe. Pour les Perroquets et les îles, obligation de passer par New Sea Roc et sa logistique au top. Contact NewSea Roc La Case Aventure, 26b rue Colbert BP 541 Diego Suarez Tel : (00 261) 20 82 218 54, GSM (00 261) 32 04 724 46 . E- Mail : newsearoc@wanadoo.mg
Web : http://www.newsearoc.com
Le Simca de New Sea Roc au camp des Perroquets
Saison : en saison sèche d'avril à mi-décembre. Vent fort de mai à octobre donc température idéale, fraîcheur agréable sur les sites. Avant et après ça grimpe aussi, mais il fait plus chaud et il y a aussi une saison des pluies (décembre-février).
Logement : pour la Montagne des Français, si vous voulez profiter de l'ambiance de Diego il y a nombreux hôtels en ville (transfert en taxi pour la montagne environs 8€ A/R). Si vous voulez être plus tranquille et plus près des voies, le King's Lodge est plus cher, mais vous économisez le taxi car il se trouve au pied du sentier d’accès. Le meilleur plan, à notre goût, est l’hôtel Sakalava avec ses bungalows en bord de mer. Il est possible d’y avoir les transferts à la Montagne tous les jours et, en plus, on peut y pratiquer kite et wind surf (location de matos sur place).
 Pour les îles et la vallée des Perroquets, NewSea Roc gère les deux camps d'escalade, travaille avec les locaux et développe les villages autour des camps.
Avertissement très important : chaque site est classé par le ministère de l'environnement que ce soit en parc marin ou en forêt protégée grâce à sa biodiversité exceptionnelle. De fait, tout camping sauvage est formellement interdit, sous risque de faire fermer les sites à toute activité.
Topo : Madagascar Le Nord , à commander à Michel Piola, 23 avenue Massenet CH - 1228 Plan les Ouates. Suisse Fax et tel : +41 (0)22 823 26 63. Joindre un chèque de 12 Euros.
Matériel : une corde à simple de 70 mètres permet de tout faire. Prévoir un bon jeu de 14 dégaines, quelques mousquetons libres, de la magnésie et... basta ! Les voies de ces trois sites sont entièrement équipées en spits ou scellements, donc pas besoin de coinceurs et autres ferrailles diverses ! Précautions d’usage : il n’y a quasiment aucun animal venimeux (serpent, araignée...) à Madagascar. Ca, c’est chouette ! En revanche, il peut y avoir des moustiques et donc un risque certain de paludisme. D’où l’obligation (enfin, chacun fait comme il veut) de prévoir un traitement anti-palud adéquat. Bien qu’il y ait un hôpital à Diego, mieux vaut éviter de se mettre en vrac ou d’avoir un truc grave. Faire donc attention pendant l’escalade, mais aussi dans les sentiers !
Internet : www.newsearoc.com pour la grimpe sur les îles et les Perroquets, mais aussi VTT, pêche, plongée, randonnée...
www.madamax.com pour les big walls du sud (Tsaranoro,...), eaux vives, expéditions dans tout le pays.
www.sakalava.com petit hôtel de brousse simple et bonne ambiance.
www.kingdelapiste.de hôtel King’s Lodge, au pied de la Montagne des Français

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