mercredi 29 juin 2011

La preuve par neuf

En cette époque où le neuf semble presque devenu une banalité presque affligeante tant quelques énergumènes enchainent les voies de neuvième degré comme moi les bières pression en terrasse, je me suis senti d'humeur à, moi aussi, faire du neuf (mais avec du vieux...) : je vous propose donc ma vision, parcellaire et subjective forcément, des neuf révolutions de la grimpe des deux dernières décennies !

La canne à pêche
Qu’est-ce que vient faire cette histoire de canne à pêche dans l'univers de la grimpe ? C’est en fait le nom que l’on donne à la perche télescopique munie à son extrémité d’une pince (ou autre système) permettant d’aller mousquetonner un point depuis le précédent ou depuis le sol. Accessoire sacrilège, voire satanique, pour les puristes puisqu’il permet de sortir quasiment n’importe quelle voie même si l’on ne se sent pas d’engager les mouvements au dessus des points, la canne à pêche, utilisée de cette manière, est en effet un détournement de son utilité première qui était de pouvoir prémousquetonner un premier point trop haut et ainsi éviter de se broyer au sol en cas de chute avant celui-ci. Alors pourquoi ces perches commencent-elles à fleurir un peu partout ? Parce que certains grimpeurs d’aujourd’hui ne semblent plus en mesure de se confronter avec la réalité d’une voie et de son engagement, pas plus qu’ils n’acceptent de tout simplement prendre un but dans une voie et y laisser un maillon ou un mousqueton. Triste évolution sans doute, même si elle est encore relativement marginale…
Même le grand Adam Ondra cède aux sirènes de la canne à pèche... (© DR)

La corde petit diamètre
Technologie aidant et dictant sa loi, la miniaturisation aura été un des leitmotiv les plus prégnants de notre époque. Pourquoi la grimpe aurait-elle échappé à cette tendance dure ? Ce sont probablement les cordes qui ont ainsi vues leur taille diminuer le plus sensiblement. Quand on dit taille, il faut comprendre diamètre, car question longueur, ça a plutôt été l’inflation car les voies se sont dans le même temps avérées être de plus en plus longues (voir dans le Tarn par exemple et ses longueurs de 70 mètres d’une traite). Désormais, les cordes à simple ont des diamètres descendant jusqu’à peine moins de 9 mm, ce qui correspondait au diamètre standard d’une corde à double d’il y a 20 ans ! Et tout cela en conservant des caractéristiques dynamiques excellentes, voire meilleures qu’avant, propres à garantir une sécurité maximum. Pour le grimpeur, c’est un gain de poids conséquent synonyme de confort accru autant pendant le portage (quels fainéants !) que pendant la grimpe. Ne reste plus qu’à inventer la corde qui monte toute seule dans le relais pour vous mettre la moulinette !
Avec ses interminables longueurs, le Tarn fait apprécier les cordes fines ! (© Joshua Grose)
Le Grigri
Apparu au début des années 90, le Grigri s’est imposé au cours de la décennie passée comme le compagnon quasi indispensable des falaisistes. Procurant un confort à l’assurage et un surplus de sécurité quand il est utilisé à bon escient, ce dispositif autobloquant a été une véritable petite révolution et a su conquérir les cœurs autant que les parts de marché, malgré un domaine d’utilisation assez restreint à la falaise d’une longueur et sur les cordes à simple. Une réussite autant conceptuelle que commerciale donc, mais qui ne doit pas faire oublier aux grimpeurs que l’assurage n’est pas un acte anodin, qu’il se doit d’être un comportement actif et vigilant et que le Grigri n’est pas là pour assurer tout seul mais pour pallier une éventuelle défaillance de celui qui l’a entre les mains. Après 15 années de bons et loyaux services, le Grigri a laissé la place à son évolution logique, le Grigri2 !
L'assurage au Grigri a apporté un plus sécuritaire indéniable (© Petzl)
Le crash pad
S’il y a bien un accessoire qui a pu changer profondément la donne dans une pratique, c’est bien le crash pad. Ces sortes de matelas pliables et transportables permettent en effet d’amortir considérablement les chutes en bloc et ont de ce fait permis d’envisager essayer des passages plus hauts, plus engagés ou exposés sans pour autant craindre systématiquement pour sa santé voire sa vie. Si certains accessoires ou changements dans le matériel de grimpe ont parfois reçu un accueil mitigé, cela n’a vraiment pas été le cas pour les crash pads qui ont immédiatement et unanimement été adoptés par la communauté des grimpeurs de blocs. La preuve, les sentiers des sites des blocs sont désormais encombrés par des processions d’“escargots”, les grimpeurs portant sacs et crash pads sur le dos ! Rarement un accessoire aura eu un tel impact de fond sur la pratique, le crash pad ayant réellement ouvert des horizons nouveaux en matière de grimpe en bloc.
Crash pad de la marque française Beal (© Beal)
La prise en résine
La prise en résine est à coup sûr l’un des symboles les plus forts de ces deux dernières décennies. Elle évoque en effet la compétition d’escalade qui, malgré le peu d’avenir que certains lui prédisaient et quelques véritables passages à vide, a su de nouveau attirer un public. La mise en place des épreuves de bloc, plus dynamiques et proches du public n’y est sans doute pas pour rien. Mais la prise en résine symbolise également le pan personnel, un phénomène qui a explosé durant le même temps, bon nombre de grimpeurs trouvant pratique d’avoir leur petit mur à la maison pour pouvoir s’entraîner et progresser sans avoir à sortir de chez eux ! Enfin, la prise en résine marque l’avènement définitif des salles d’escalade, lesquelles ont permis et permettent encore à grand nombre de citadins de pouvoir grimper en semaine, en soirée ou quand il pleut. Qui eut cru en un tel succès ? Il y a à peine plus de quinze ans, presque personne n’aurait pensé accepté de payer pour pouvoir grimper. Aujourd’hui, c’est un fait acquis. Faisons tout notre possible pour que cela reste cantonné aux salles et que l’accès aux falaises demeure libre et gratuit pour tous !
Une série de prise de la marque Bleaustone, des beaux spécimens... (© Bleaustone)
Le mousqueton à doigt fil
Parmi les innovations techniques les plus intéressantes et novatrices, celle du doigt en fil d’acier sur les mousquetons n’est pas la moindre. Marginale il y a encore quelques années, l’adoption de ce type de matériel s’est largement étendue depuis, la plupart des fabricants en proposant maintenant à leur catalogue. Il faut dire que le doigt-fil est une véritable bonne idée qui apporte un plus certain, tant en matière de sécurité (il “vibre” beaucoup moins sous l’effet du coulissement de corde pendant la chute et permet donc au mousqueton de rester fermé et de travailler au maximum de sa résistance) qu’en matière de confort (le poids est réduit, c’est toujours intéressant). Reste que le fossé culturel par rapport au mousqueton à doigt classique n’a pas été comblé et que le doigt-fil n’a pas encore pris le dessus sur le marché. Ca viendra, c’est certain…
Arnaud Petit teste le mousqueton Ange en grande voie... (© Tony Lamiche)
Le harnais sans boucle
Qui a dit que tout était déjà inventé en matière de matériel d’escalade ? Sûrement pas les concepteurs de ce harnais révolutionnaire puisque totalement dépourvu de boucles de fermeture/réglage ! Disponible durant quelques saisons chez Beal, ce harnais avait réussi à se faire une petite place au soleil sur le marché auprès des grimpeurs attirés par la nouveauté, certes, mais surtout grâce à ses réelles qualités. Son aspect pratique (vite enfilé, vite enlevé) et son plus dans le domaine de la sécurité (pas de boucle donc pas de risque d’oublier de fermer le baudrier) en étaient les principales. Mais comme pour le mousqueton à doigt-fil en son temps, le harnais sans boucle devait prendre son temps pour réussir à imposer l’acceptation de son concept par la masse des grimpeurs. Malgré ses atouts il ne semble pas y être parvenu, mais peut-être y reviendra-t-on ?
Le Beal Aero, le premier harnais sans boucle de fermeture ! (© Beal)
Le chausson asymétrique
Initiée par la marque américaine Five Ten, avec son désormais plus que célèbre modèle Anasazi, l’asymétrie des chaussons d’escalade a sans conteste été l’un des faits marquants de l'évolution du chausson d'escalade. Kézaquo l’asymétrie ? Il s’agit de donner une forme globale au chausson pour que la pointe de celui-ci, donc le point d’appui essentiel, se trouve axée sur le pouce du pied, l’orteil le plus puissant, ceci afin de conférer au chausson une précision plus grande. De fait, l'asymétrie semble avoir imposé son diktat pusqu’à l’heure actuelle environ deux tiers des modèles disponibles sur le marché sont plus ou moins asymétriques. Et pourtant, leur utilisation n’est valide et ne se justifie que pour les grimpeurs aux pieds dont le pouce est l’orteil le plus long, ce qui n’est pas le cas de tous, loin de là. Mais effet de mode et disponibilité de produits obligent, presque tout le monde grimpe aujourd’hui avec des chaussons de ce type.
Le modèle La Sportiva Testarossa, archétype du chausson très asymétrique (© La Sportiva)
Le pan Güllich
Quand, en 1991, Wolfgang Güllich enchaîne le premier 9a de l’histoire avec “Action directe”, c’est tout un entraînement et un travail spécifique qui se font jour en même temps. Wolfgang a en effet utilisé un nouvel agrès d’entraînement spécifique qui prendra d’ailleurs son nom pour la postérité : le pan Güllich. Il s’agit d’un panneau de bois sur lequel sont vissées de petites lattes d’épaisseurs variées et réparties de façon équidistante. Les jeux et exercices sont innombrables sur ce support, basés autant sur les suspensions que les tractions, les jetés à une ou deux mains, montées, descentes et autres. L’efficacité redoutable du pan Güllich en matière de gain de force dans les doigts et de synchronisation en a fait un outil fétiche pour les grimpeurs de niveau extrême dans un premier temps, puis vers d’autres moins “pointus” ensuite, le phénomène se démocratisant naturellement. Moi, je trouve que c’est un bel hommage à cet exceptionnel grimpeur qu’était Wolgang Güllich que son nom soit définitivement associé à cet outil qui lui a permis d’entrer dans la légende.
Le pan Güllich, un extraordinaire outil d'entrainement pour les grimpeurs ! (© Freestone)

6 commentaires:

  1. magnifique!!!
    ici vous verrez des videos d'escalade:
    http://www.escalade.tv

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  2. Je ne suis pas trop d'accord sur la canne à pêche... somme toute son utilization avait marginale.
    Je reconnais que je l'ai bien utilisé quelque fois il y a des ans, mais bon, les 8 autres outils sont bien plus rèvolutionnaires!

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  3. Ce n'est pas entièrement faux pour la canne à pèche... Reste que ce quelque chose qui était extrêmement marginal tend à se développer sensiblement. rien que dans mon entourage, je connais de nombreux grimpeurs qui sont équipés de perche...
    Pour ma part, j'ai toujours refusé de m'en doter. Au besoin, j'essaie de trouver sur place une branche pour dépanner... et s'il n'y a rien et bien je prends un but et je laisse un maillon !

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  4. Moi non plus, je ne suis pas d'accord avec ton raccourci sur la canne à pêche...

    A côté de la canne à pêche, il y a les traits de magnésie, les dégaines en place, les chasses d'eau, en son temps les méthodes de voies dans des feuillets de Grimper (!), aujourd'hui les vidéos,...
    Tous ces "biscuits" se sont démocratisés pour faciliter le travail d'une voie, optimiser son temps, optimiser les méthodes, faciliter sa "progression"... Bref, pour faire la croiX plus efficacement et s'épargner de nombreuses contraintes.

    Toutes les innovations présentées ici vont d’ailleurs dans ce sens, alors au nom de quoi, peut-on dire que pour l'une c'est une avancée et pour l'autre une dérive ? Ce qui parle dans ce cas, n’est-ce pas d’abord sa façon de s'accommoder avec la difficulté, et donc, la représentation que l’on en a ? Ou peut-être, est-ce dans ton cas, Jean-Marc, ta propre vision des ingrédients qui donnent de la saveur et du sel à l’escalade ? Pour certains c’est l’engagement, c’est « l’éthique de moyens épurés », pour d’autres se sera autre chose. Et tu sais que cela peut évoluer en fonction de sa pratique !
    Le bout de boit a précédé la canne à pêche en carbone, mais au fond c’est pareil, non ?
    Jean-Marc, tu es un « pauvre pêcheur » qui ne s’assume pas !

    Adam Ondra a utilisé la canne à pêche pour sortir une voie engagée cela ne l'a pas empêché d'engager lors de l'enchaînement...

    Pour certains l'escalade est un loisir, pour d'autres c'est un sport où il faut rationaliser les moyens. Il est donc normal de voir s’approprier différentes façons de pratiquer et divers moyens que certains estimeront être une dérive.
    Et comme tout sport où il n'y a pas de compétition (je parle ici de la falaise ou du bloc), c'est chacun qui se construit ses propres règles en fonction de son vécu, de son humeur, de ses ressources, de sa forme, de son enourage, de son propre niveau d'exigence, de son "trouillomètre",... Pouvoir pratiquer "à sa façon" me semble plutôt constituer une richesse et non pas une perte de valeurs comme cela est souvent sous-entendu avec une pointe de jugement...
    Avec la nostalgie d'un large consensus autour de règles dites "éthiques", ne souhaite-on pas finalement pouvoir comparer la valeur des uns et des autres ou insidieusement comparer les perfs les unes aux autres ?... Imposer des règles de "performance" en falaise, n'est-ce pas vouloir mettre tout le monde sur "une ligne de départ" ? N'est-ce pas le retour larvé d'une compétition en falaise ?
    Pourquoi pas, mais ces règles ne s'imposent alors qu'à ceux qui veulent communiquer sur leurs perfs et dont la valeur doit être jaugée.
    Récemment, Adam Ondra encore, qui a une éthique assez stricte, pointait du doigt les départs de voie avec dégaines préclipées qui, à ses yeux, ne se justifient qu'en cas de danger, sinon c'est "biscuit" (=mousquetonner, c'est dur, c'est des mouvs en plus!). On voit encore une fois les limites de ce genre de "pseudo-éthique" lorsque qu'on le voit sauter allègrement plusieurs points dans des ascensions récentes (vidéos sur le net)... Ne cherche-t-il pas lui aussi à faciliter son escalade en enlevant des mouvs ou du tirage alors qu'il sous-entendait qu'on doit mousquetonner tous les points ?

    Pour ma part, avec ou sans canne à pêche, que chacun fasse comme il l'entend, du moment que ça ne gêne pas d'autres façons de pratiquer ! C’est pas gagné !!
    Il me semble important d’être clair avec soi-même sur ce qui ajoute ou enlève de la valeur à l’escalade. Là non plus, c'est pas gagné !! Car l’orgueil et la vantardise nous guètent...
    « L'orgueil, l'éternel orgueil, le besoin de briller et d'étonner le monde par des mérites que l'on n'a pas ! »
    Georges Courteline

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  5. Voilà une bien belle argumentation Zorg !

    Pour te répondre :
    - bien sûr que je suis un pêcheur, un grand même... et je l'assume sans honte !
    - les règles du jeu de la falaise évoluent, c'est normal et pas choquant. Mon billet n'a pour objet que de faire état de certains de ces changements, de le pointer, éventuellement les critiquer et bien sûr de manière tout à fait subjective.
    - j'expose ici "ma" vision de la grimpe, libre à chacun d'y trouver des éléments de convergence et de divergence. Chacun pratique la grimpe avec ses propres adaptations aux règles de base. Comme tu dis, à chacun de faire le point avec lui-même et son reflet dans le miroir quant à la valeur de ses réalisations...
    - il y a toujours eu de la compétition "larvée" en falaise : le tirage de bourre pour la première d'une voie, la cotation la plus élevée... Le truc est que chacun joue bien le même jeu pour pouvoir comparer les choses entre elles... En vraie compétition, pas de problème, en falaise...
    - l'orgueil n'est pas forcément un mal, il te permet souvent de te dépasser pour réussir quelque chose dont tu ne te serais pas forcément crû capable à la base... L'excès d'orgueil, en revanche...

    Bref, à la lecture de ta réaction, je me dis finalement que nous sommes fondamentalement d'accord sur le fond !

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  6. sympa cet édito!, pour ma part j'ai récemment fait l'aquisition d'une autre Révolution de la grimpe: les lunettes d'assurage!!! merveilleux outil du 21ème siècle (plus axé confort que perf) pour les grimpeurs qui savent prendre soin de leur cervicales ;)
    Et non! je n'ai pas d'action dans cette boite =)

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