Deux bouteilles d’aspirine. Oui, deux… Ça m’a pris deux bouteilles d’aspirine, cette semaine, pour digérer toutes les inepties lues sur les forums anglo-américains et français à propos du Cerro Torre et de la Voie du Compresseur. Passe encore que certains n’apprécient pas ma prose. Passe encore que certains ne saisissent pas mon argumentaire. Mais de là à ne pas saisir le fond de l’histoire, à ne pas être capable de voir les tenants et aboutissants de l’affaire, à ne pas apprécier la dérive qu’une telle action peut provoquer… et bien je remercie Bayer de l’aide apportée par leur produit vedette !
Résumons : deux grimpeurs ont escaladé le Cerro Torre "by fair means’’ mais en utilisant – selon leur dire – deux ou cinq ancrages déjà en place. Qui peut jurer, ici, que ce n’est que cinq ancrages et non pas dix ou vingt ou trente ? Il n’y a que leur parole qui en fait foi… c’est l’usage en alpinisme.
Ces deux grimpeurs avaient l’intention de déboulonner la voie du Compresseur avant leur départ. Et ils ont conservé les ancrages ce qui est étrange pour des artefacts qui n’ont pour eux aucune valeur. Cette action fut faite en dépit d’un consensus chez les grimpeurs et les locaux argentins. Je ne crois pas qu’on accepterait, en France, que des Argentins décident de ce qui s’équipe ou se déséquipe dans le pays… Certaines personnes, des alpinistes célèbres et d’autres qui le sont moins, ont déclaré que la Voie du Compresseur n’était pas historique et que, de ce fait, les ancrages ne sont que des déchets. Le nettoyage est un réalignement visant à redonner à la montagne sa pureté d’antan. Pourquoi ces alpinistes n’ont pas fait eux-mêmes le ménage bien avant reste un mystère. Pourquoi applaudir maintenant au lieu d’agir il y a dix ans ?
Moi, les montagnes, je n’en fais pas une religion. Ce sont d’intéressants blocs de roche et de glace qu’il peut être plaisant de grimper. La beauté d’une montagne et sa pureté ne sont que des élucubrations occidentales et je considère que le Cerro Torre est aussi ‘’beau’’ que le Crapaud de Mer, un tas de caillou de 10 mètres grimpable à marée basse. Je suis un sceptique et un athée. La Voie du Compresseur a été grimpée en 1970, l’époque des directissimes, l’époque de la fin de l’alpinisme, l’époque des grosses expéditions nationales, l’époque où l’on considérait encore que certaines parois ne pouvaient être grimpées. Ou elles l’étaient à grand renfort de moyens, en artificiel, et c’était considéré ‘’by fair means’’. La Voie du Compresseur est une voie historique. Elle a fait couler beaucoup d’encre depuis 1970 et je ne connais pas beaucoup de lignes qui ont justifié un livre ou deux par Messner, un film culte, des articles dans les journaux nationaux, des mentions dans tous les livres sur l’alpinisme, quarante ans de polémique… Bref, clamer haut et fort que ce n’est pas une voie historique, c’est mentir pour la galerie. Encore plus, la Voie du Compresseur, de par sa notoriété, a généré quantité de vocations alpines et nombre de grimpeurs connus l’ont gravie sans songer à la déséquiper. Et nombre d’inconnus auraient bien aimé la faire un jour. Cela est maintenant impossible pour cause de pureté. Cette voie était plus qu’une simple échelle de points fixes : en fait, on parle de 1200 mètres d’un rocher à faire rêver qui restera maintenant le fief d’une élite sponsorisée. Si elle avait été déséquipée deux ans, cinq ans après sa création… mais non… aucun grimpeur ‘’célèbre’’ n’a accepté cette mission malgré les critiques. Maestri lui-même voulait couper les ancrages à la descente mais le mauvais temps et ses compagnons l’en ont dissuadé. C’était sa ligne et il était dans son droit.
La Voie du Compresseur a maintenant 42 ans …. Et elle n’est plus qu’un rêve que plusieurs se chargeront de nous faire oublier.
Je suis réputé et détesté dans mon patelin pour avoir déséquipé un site entier. Disons 75 voies en deux jours. Or ces voies étaient les miennes, des voies dont j’avais payé en entier tout le matériel à partir d’un salaire de misère et que j’avais équipées en un temps record. Je sais donc bien de quoi je parle ! Ce qui m’a donné l’idée de demander à celui qui a équipé la Voie du Compresseur ce qu’il en pense. J’ai donc téléphoné à Cesare Maestri !!! Oui… j’ai contacté Maestri. En cela, j’ai fait preuve de plus de cœur que les conquérants de l’inutile qui ont liquidé la Maestri/Claus/Alimonta. Car c’est le nom officiel de la Voie du Compresseur, vous le saviez ? Je vous épargne les civilités d’usage...
"Je tiens à vous rappeler que, ces dernières années, j'ai décidé de ne plus parler du Cerro Torre. Les raisons qui m'ont conduit à prendre cette décision sont doubles : il y a la controverse soulevée par ceux qui veulent m’humilier et détruire la merveilleuse histoire de l'alpinisme, mais essentiellement je sais qu’en reprenant la polémique, je jette de l'essence sur le feu et je me fais complice de leur sale jeu. En ce qui concerne la "Voie du Compresseur" (que je préfère appeler la «Maestri-Claus-Alimonta" sur l'arête Sud-Est), je peux dire que je considère que c’est une voie incroyable que nous avons affronté pour rendre encore plus évidente la déconfiture de ceux qui ont été forcés de battre en retraite après avoir été stoppés à quelques centaines de mètres du sommet, des grimpeurs considérés comme les meilleurs au monde, incapables d’aller au sommet et dont l’échec signifiait naturellement que j'avais menti en 1959 quand j'ai déclaré à avoir fait le sommet avec Toni Egger. La vérité que je voulais prouver sur l’arête sud-est est la suivante : il n’y a pas de montagnes impossibles à gravir mais seulement des grimpeurs incapables de le faire. De plus, au fil des ans, je suis encore plus convaincu que mettre en doute la parole d'un grimpeur signifie mettre en doute l'histoire entière de de l’alpinisme depuis Balmat. Si je pouvais avoir une "baguette magique", je voudrais effacer le Cerro Torre de ma vie."
Ceci est une traduction libre mais respectueuse du message original. Et j’espère bien avoir un jour la chance de rencontrer Cesare Maestri dont la feuille de route m’impressionne beaucoup plus que celle de la cordée canado-américaine qui a déboulonné la Maestri/Claus/Alimonta. Je ne suis pas une groupie. Je ne vénère personne. Mais nous sommes tous des nains juchés sur les épaules de géants et, si l’on tue les géants, il ne reste que des nains. On ne s’agrandit pas à détruire l’œuvre d’autrui après tout ce temps même si elle est discutable selon les normes de notre époque. Réécrire l’histoire et jeter aux ordures le patrimoine n’est pas digne de la tradition de l’Alpinisme. Un mensonge potentiel, un suréquipement, valide-il une destruction après un demi-siècle ? Ce n’est pas l’esprit de la Montagne.
C’est un dangereux précédent qui ouvre la porte à toutes les dérives et à tous les intégristes de la pureté originelle. Quand la cordée canado-américaine aura le palmarès partiel ci-dessous (réalisé, bien entendu, avec l’équipement de l’époque), je pourrai considérer une révision de mon jugement.
Ceci tiré de Wikipedia en italien mais vous comprendrez sans doute le terme ‘’solitaria’’ :
"Le sue prime imprese di rilievo risalgono al 1951, quando salì in solitaria la via Detassis-Giordani al Croz dell'Altissimo, e per primo effettuò la discesa in solitaria dalla Paganella. Nel 1952 diventa guida alpina. Da allora si susseguirono numerose imprese, principalmente sulle Dolomiti; tra queste ricordiamo :
la via Dibona al Croz dell'Altissimo (1952)
la via Comici al Salame del Sassolungo (1952)
la via Solleder in Civetta (1952)
la via delle Guide sul Crozzon di Brenta (1953)
la via Trento (Detassis) alla Brenta alta (1953)
la via Soldà al Pilastro sud della Marmolada di Penia (1953)
la traversata dalla Cima d'Ambièz alla Bocca del Tuckett concatenando in solitaria 16 cime della catena centrale in meno di 24 ore (1954)
la via Vinatzer al Sass de Luesa (1955)
la via Oppio al Croz dell'Altissimo (1955)
la via delle Guide al Crozzon di Brenta in discesa (1956)
lo spigolo nord del Cimon della Pala in prima solitaria invernale (1956)
la via Micheluzzi al Piz Ciavazes (1956)
la via Solleder al Sass Maor (in discesa), la via Buhl e la via Maestri - Baldessari (in discesa) alla Roda di Vael, le nuove vie aperte tra il 1964 ed il 1966 in Brenta su Cima Grostè, Cima Campiglio, Cima Massari.
Tutte queste imprese furono realizzate in solitaria."
J’ai bien besoin de deux aspirines ….
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