Dans la production mondiale de motos, la marque italienne Moto Guzzi fait figure d'OVNI ! D'abord pour son indéfectible architecture moteur en V twin face à la route associée à une transmission finale par cardan, mais aussi par ses choix de design et la structuration de sa gamme. La V85 TT, apparue il y a maintenant quatre ans, ne déroge pas à la règle et c'est pour cela qu'elle méritait bien un essai !
Ceux qui me connaissent et/ou me suivent dans mon parcours motocycliste depuis mes débuts savent que je voue un attachement particulier à Moto Guzzi. À peu de choses près, ma première moto a failli être une Griso SE. Par la suite, j'ai pu essayer et apprécier les diverses versions de la California 1400, mais je n'ai finalement jamais concrétisé un achat... Il n'en reste pas moins que j'ai toujours gardé un oeil passionné sur ce que la maison de Mandello produisait. Je trouve en effet une dimension "iconoclaste" à persévérer dans certains choix techniques envers et contre tous, à prendre le contrepied du toujours plus (plus de modèles, plus de technologie, plus de puissance, plus de cylindrée, toujours plus... cher !). Avec cette V85 TT, Moto Guzzi suit sa propre route, différente de la mode des maxi-trails qui cubent désormais tous 1100 cm3 ou plus avec un tarif autour de 20.000 € (sans tous les équipements optionnels).
85, c'est pour la cylindrée : 850 cm3. Ce bloc délivre (depuis le passage à la norme €uro 5) 76 chevaux, ce qui peut sembler relativement peu. Mais plus intéressante est la valeur de couple, située à 82 Nm, dont l'essentiel est obtenu à peine au dessus de 3.500 tr/min.À la vue de ces valeurs, on peut déjà comprendre le concept de cette moto : elle est faite pour enrouler à bon rythme, pas pour tirer sur les bras en mode je me rue d'un virage à un autre ! Autant le dire tout de suite, cela se confirme à la conduite. Pour qui, comme moi, vient de motos bien plus puissantes, le manque d'allonge en accélération est flagrant. On se prend à regretter que ce moteur ne crache pas une vingtaine de chevaux de plus qui lui feraient le plus grand bien sans pour autant en faire une machine de course. Mais soyons honnêtes, après une heure de roulage, on s'y fait et on intègre le fait que ça se pilote différemment ! Clairement, la philosophie de cette Guz' n'est pas l'attaque le couteau entre les dents...
Le plus marquant à rouler cette moto, c'est son incomparable confort. La position de pilotage est parfaitement naturelle, on s'y sent à son aise immédiatement. La selle est large, cale bien le séant et offre un moelleux particulièrement bien calibré. Les suspensions jouent également un grand rôle dans ce confort général. Elles sont tarées souples et permettent d'absorber avec facilité et efficacité les creux et bosses de la route (et sans doute aussi en offroad). Bien sûr, cela se traduit par un petit effet "cheval à bascule" lors des transferts de masse en accélérations et surtout aux freinages très appuyés durant lesquels la fourche plonge. Là encore on comprend bien que la V85 TT n'a pas été conçue pour cela. Pour les plus pointilleux sur ce comportement, notons d'une part que cela n'est ni vraiment désagréable et encore moins dangereux, mais que cela peut être partiellement réduit par le réglage de l'amortisseur arrière et de la fourche avant. Et si cela ne suffit pas, un amortisseur arrière upgradé (apparemment en Öhlins) est disponible en accessoire au catalogue Moto Guzzi, quant à la fourche on peut changer la viscosité de son huile, voire y mettre des ressorts Hyperpro. Mais encore une fois, pourquoi faire cela ? Ce n'est pas l'esprit de cet engin...
Le confort, c'est aussi l'ergonomie. Si cette dernière est excellent dans ses aspects généraux, certains détails sont moins bien pensés. Disons que quand on sort de la rigueur germanique dans le domaine (BMW est clairement le maître en la matière), l'approche plus free style à l'italienne peut surprendre ! Le bouton des poignées chauffantes, minuscule et planquée dans un coin du commodo gauche, en est un bon exemple. Le changement des modes de conduite via le bouton de démarrage moteur en est un autre. Le commutateur de clignotant, inaccessible au pouce sans bouger la main de la poignée et ne procurant aucun feeling de manipulation, est pas mal dans le genre aussi. Mais tout cela n'est que du détail, en fait. Certains diront m^me que cela fait partie du charme de ces machines italiennes. Bien plus gênant pour moi, et c'est curieux que je ne l'ai relevé dans aucun des nombreux essais que j'ai lus/vus, l'impossibilité de positionner mes pointes de pied sur les repose-pieds ! En effet, dans cette position, mes talons viennent buter dans les platines situées en arrière ! Alors certes un trail, a fortiori celui-ci, ne se pilote pas comme une sportive, mais pouvoir se placer sur le pointe quand on s'engage un peu fort dans les virages, c'est s'assurer de ne pas racler le bitume avec ses orteils ! Voici sans doute encore une démonstration de plus que la V85 n'est pas faite pour l'arsouille.
Nonobstant, cette Moto Guzzi s'avère hyper agréable à rouler. D'abord comme je l'ai dit par son confort. Mais aussi parce qu'elle est vraiment facile à emmener ; la mise sur l'angle est super instinctive, on se balance d'un côté à l'autre d'une façon très naturelle et dans une totale confiance. Pourtant pas si légère que ça (230 kg en ordre de marche), cette V85 devient une vraie ballerine dès qu'elle roule. Le freinage contribue bien sûr lui aussi à cet agrément, grâce à du très beau matériel Brembo qui assure puissance et progressivité. Le moteur et l'échappement assurent une bande-son originale et agréable, tandis que la boîte à air émet de jolis grognements à la montée dans les tours. Dommage que la zone rouge arrive si vite, avec un shiftlight au tableau de bord qui vous rappelle à l'ordre. Et même si les vieux Guzzistes trouvent probablement ce moteur honteusement aseptisé, le commun de motards que je suis lui trouve ce supplément d'âme qui manque à tant de machines modernes, ca gronde, ça vibre, il y a du couple de renversement... Il n'y a guère que le "vieux" flat air/huile de BMW encore présent sur les NineT qui soit aussi amusant. L'agrément d'une moto voyageuse, c'est aussi qu'elle ne vous en demande pas trop sur certains points : ici, le réservoir fait 23 litres (!!) et la consommation est très raisonnable (entre 4,5 et 5 l/100), ce qui confère une superbe autonomie d'environ 450 km ; ici, la transmission finale se fait par arbre et cardan, pas de chaîne à surveiller, retendre, nettoyer et graisser à la moindre pluie ; ici, l'éclairage est full led pour être bien vu de jour et bien voir de nuit ; ici, on a un porte-paquet d'origine et la bagerie de la marque s'installe dessus sans devoir metre en place des supports disgracieux ; ici, la selle culmine à 830 mm et la garde au sol est de 210 mm, mais du haut de mon 1,72 m, je pose bien les pieds au sol car la machine est étroite juste là où il faut pour que ce soit possible.
Avec sa V85 TT, Moto Guzzi démontre qu'on peut faire un joli trail, avec un design soigné et original, une machine qui sache être aussi utilitaire que d'attiser la passion. Moto Guzzi prouve aussi qu'on peut créer une moto performante sans être ultra-performante, une machine qui a bien assez pour faire ce qu'on lui demande c'est-à-dire rallier de longues distances quelles que soient les conditions, sans souci, confortablement et à bon rythme. Moto Guzzi, marque désormais plus que centenaire, assume aussi qu'on peut créer une moto moderne sans être dans la surenchère, et ça ce n'est pas rien. Bien sûr, tout est loin d'être parfait sur cette moto, mais c'est évidemment ce qui en crée tout son charme fait d'un équilibre subtil entre raison et passion.
Merci à la concession Moto Labo d'Échirolles pour cet essai.
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